Ma vie en start-up, épisode 1 : comment Vivendi Universal est passé à côté des produits dérivés de la Reine des Neiges et d'Harry Potter
Avril 2002, arrivée à Paris

Je débarque Gare de l’Est pour une nouvelle vie, avec 2 valises et plein d’appréhension. Je prends le bus 31, direction Jules Joffrin et la mairie du 18e où Julien, un ami de l’Edhec, peut m’héberger quelques jours avant d’avoir un autre logement. Le XVIIIe va d'ailleurs beaucoup me plaire, j'y habiterais dix ans.
J’ai 23 ans, je suis en dernière année à l'Edhec de Nice, en majeure marketing. Il pleut. Mon stage de fin d'études démarre le lendemain, ou pas loin, pour 6 mois.
Grâce à mon oncle Paul Adam, j’avais passé un entretien avec Stéphane André pour un stage chez Cinéstore quelques semaines plus tôt, en profitant de mon passage à Paris pour le forum Edhec (où aucune boîte ne m’intéressait d'ailleurs. Accenture, L'Oreal, pas ma came). J’avais même failli revenir en retard du RDV et rater le bus de retour… pour Nice ! Bon, ce n’était pas pire que la fois où j’ai pleuré devant le plan du métro, quand j'étais venue passer des oraux dans je ne sais plus quelle école au bout de je ne plus quelle ligne de RER, mais c’est une autre histoire...
Je démarre donc un lundi matin chez Cinéstore, au 17 rue Meissonnier dans le 17e, et mon bureau est... dans une cave ! Je pense que les commissions d’hygiène et sécurité ne devaient jamais y être passées. Le local, censé être la réserve de la boutique, héberge en réalité les services clients et marketing de la start-up.
L'entreprise avait été créé par Olivier (aujourd’hui à la tête du site de vente privée de vin 1 Jour 1 Vin) et sa compagne Dominique dans un appartement parisien, et au départ ne vendait que des produits dérivés de films et de séries TV. Quelques années plus tard, le catalogue de vente par correspondance s’était épaissi : il compte 230 pages et 12000 références, parmi lesquelles de nombreux CD, DVD, livres et jeux vidéo. Les produits se vendaient également sur le site Internet. Star Wars, le Seigneur des Anneaux, Friends, Buffy contre les Vampires, Matrix, Spider-Man, Men In Black ou les Disney et Pixar, toutes les licences ciné -TV -BD du moment étaient représentées, rien ne manquait.
Après une première prise de participation d'Allociné dans Cinéstore, les deux sociétés cousines avaient été revendue à Vivendi Universal l’année précédente. Pour fêter l'événement, le fondateur d'Allociné Jean-David Blanc (oui, celui de Molotov) et son associé avaient embarqué toute l’équipe à Las Vegas pour 3 jours, la classe américaine !
Premier contrat
6 mois de stage, puis une embauche : premier vrai taff. Je suis assistante marketing et commerciale, j'aide le boss sur la préparation des catalogues et des courriers (j'apprends la VPC) et j'accompagne Stéphane, directeur commercial, sur la vente.

J'ai organisé les tournées de distribution des commandes passées via le site par les salariés du groupe Vivendi Universal de l’époque : Canal Plus, Universal Music, entre autres.
J'ai accueilli dans la boutique Jean-Paul Rouve qui cherchait le sabre laser Star Wars. A l'époque, il était juste “un gars de la bande des Robins”.
J’ai vendu des DVD de l’Age de Glace sur le Wap avec SFR (la première possibilité de vente sur mobile, l’ancêtre du m-commerce).
J'ai écrit les textes de dizaines de DVD, j'ai benchmarké Amazon, Alapage ou Cdiscount pour que nos prix soient alignés.
J'ai saisi des commandes en période de rush et j'ai emballé des colis avant Noël.
Mon mémoire de fin d’études portait déjà sur “la fidélisation sur Internet”, et on était en 2002 !
Je vais bosser en bus 31, ou en trottinette (qui valait la moitié de mon salaire à l'époque !) pendant les grèves de transport. Je découvre la vie parisienne, ses loisirs et ses sorties (ah les soirées de l’Elysée Montmartre !) comme des milliers de jeunes actifs. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
"C'est quoi ton job ?"

Et puis un jour, un mec mandaté par Vivendi Universal débarque et nous pose des questions sur notre job. C'est Bertrand Stephann, le fondateur de feu bol.fr, éphémère concurrent d'Amazon. On apprend par la suite que Cinéstore va être revendue par Vivendi Universal (VU). C'est l'éclatement de la bulle Internet et c'est la fin de l'époque J6M - pour Jean-Marie Meissier Moi-Même Maître du Monde, comme l'avait surnommé les Guignols.
Quelques temps après avoir racheté 24 millions de francs le nom de domaine vizzavi.com, VU se sépare de quelques actifs web comme I-France (entre autres). Le rêve des tuyaux et des contenus, peut-être trop précurseur, s’écroule.
Les têtes pensantes ont prévu de céder Cinéstore et Allociné en package à un fonds de pension et de fusionner les deux. Ce qui signifie : supprimer des postes en doublon dans les équipes. Mais également externaliser la logistique, alors que (truc de dingue !) Cinéstore possédait ses propres stocks dans Paris intra-muros. Il est donc envisagé de licencier tout le personnel qui y officiait.
La team Cinéstore n’est pas d’accord, alors on a protesté : on s’est mis en grève pour les emmerder et pouvoir négocier. Un mois à venir au bureau pour taper le carton, jouer au Trivial et fumer sur le trottoir. Ils ont essayé de nous faire plier : un jour, les serrures de la boutique avaient été changées, un autre jour, les PC de la comptable et celui du boss avaient été embarqués. Ils avaient essayé de nous remplacer, mais n’y étaient pas arrivés. Las, ils ont négocié et nous ont lâché de bonnes indemnités. J'aurai pu choisir la sécurité et rester chez Allociné. Mais certaines valeurs étaient, et sont toujours d'ailleurs, pour moi plus importantes qu'un CDI chez un nom connu : le respect, l'honnêteté et la manière de traiter les salariés.

Une fourmi sur le parvis
En août 2003, on déménage à La Défense, dans la Tour Ernst & Young où créchait Allociné. Changement de décor : le passage du 17e cosy, avec pique-nique au Parc Monceau, à la dalle de béton et ses milliers de fourmis, est dur à avaler. D’autant plus qu’on est censé faire une passation sur nos métiers aux gens d’Allociné, mais tout le monde s’en fout. Alors on fait du shopping aux Quatre Temps et on fume des joints devant les chantiers des tours en construction. Je me sens comme une extra-terrestre parmi les consultants pressés et les cadres bancaires en costard foncé. J’ai 24 ans, c’est mon premier job, et mon premier préavis avant licenciement. Mais ça ne sera pas le dernier !
On est tous partis vers de nouvelles aventures. Cinéstore s'est tellement fondu dans Allociné qu’il a disparu. En août 2003, seuls les 2 premiers volets d’Harry Potter étaient sortis au ciné : les 6 autres aurait pu tous nous sauver grâce aux produits dérivés. Mais les fonds de pension n'y avaient pas pensé. Ils n'y croyaient pas. Ils sont aussi passés à côté des Avengers ou d’Elsa.
Fallait pourtant bien écouter George Lucas : "merchandising is key".
A Olivier P. et la team du bas : Saïda, Sandrine, Sophie, Olivia, Angélina,
A la team du haut : Olivier M, Stéphane, Max, Dom, Isabelle, Manu, Sybille, Ambre, Christelle,
A Vanessa, Thierry, et tous les autres
NB: le Cinéstore d'alors n'a rien à voir avec les sites marchands encore existants !!
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