Anne Laure

10 déc. 20194 Min

Sephora : quand la vendeuse te recommande la crème que tu viens d’acheter

Mis à jour : 17 nov. 2020

Le machine learning c’est bien, croiser ses données transactionnelles et intentionnelles c’est mieux

#DataFauxPas #Data #MarketingAutomation #retargeting #RGPD

Je pensais que Sephora était une entreprise maîtrisant l’omnical comme personne, qui était en avance sur les sujets data marketing. Cette image datait de l’ère Rachel Marouani (alors Directrice e-commerce et CRM de Sephora) et des interventions auxquelles j’avais pu assister à l’époque.

Alors quelle ne fut pas ma déception lorsque je reçus un email de retargeting qui me recommandait un produit…que j’avais acheté la veille !

On ne s’en rend pas compte immédiatement sur le web mais imaginez la scène en boutique physique : une vendeuse me conseille une crème pour le visage, encaisse mon achat, puis me prend par ma main vers le linéaire « soin du visage » en me disant : « j’ai une super crème pour vous ». Là direct tu penses que la vendeuse au pire a Alzheimer, au mieux est juste limitée. En tous cas, tu te poses des questions, non ?

Alors, ce data faux pas aurait-il pu être évité ?

Ce que fait aujourd’hui Sephora

L’enseigne s’est fait conseiller et s’est équipée par la solution Dataiku - la nouvelle super start up française dans laquelle Google vient d’investir (et dont la valorisation atteint 1 milliard de dollars, ce qui en fait une licorne, encore une preuve que l’Europe sait très bien lancer des entreprises innovantes mais ne sait pas les garder mais c’est un autre sujet).

En gros, Sephora collecte un tas de données concernant la navigation sur Internet, les mixe avec les informations sur les opérations marketing, et il en ressort des prévisions de vente basées sur les deux années précédentes (analysées par Dataiku), grâce à quelques algorithmes finement choisis (c'est du machine learning).

La stratégie est d’« aller vite et bien » (cf article ici) et les objectifs sont de calibrer les équipes dans les services logistique et service client tout en permettant au marketing d’affiner ses campagnes.

Donc, Sephora a bien enregistré dans son « lac de données » (datalake) que je suis allée voir cette crème de jour. Et ils ont pu lier ce produit à mon compte client parce que je m’étais identifiée sur le site, c’est ce qu’on appelle un environnement logué. Ensuite, grâce à un autre outil dit de marketing automation, Sephora peut m’envoyer un email pour me recommander la crème que j’étais allée voir sur le site. Aux US en tous cas, l’enseigne utiliserait Campaign Monitor, vous pouvez en voir la démo sur le compte Facebook ici.

Dans ma boîte email

Oui oui, j’ai acheté pendant le Black Friday, shame on me. J'en ai aussi fait un article, à lire ici.

Le marketing automation permet d’envoyer automatiquement des messages en fonction de scenarii préalablement définis. Ici, c’est le scénario de retargeting (reciblage) par email des internautes sur les produits dont ils ont visité la page. Mais cela aurait pu être un email de relance suite à abandon de panier, une notification sur l’appli pendant une visite en magasin, etc…

Bref, Sephora a voulu copier Amazon et son marketing prédictif. Donc au niveau personnalisation on est plutôt bien, c’est sûr ! C’est un produit qui me convient bien… tellement bien que je l’ai acheté la veille !

Ce qu’aurait pu faire Sephora

J’aurais peut-être pu leur pardonner si j’avais acheté le produit en magasin, et encore, à condition de ne pas avoir eu la carte de fidélité ! Car étant encartée, mon achat même en point de vente aurait pu être relié à mes recherches en ligne (si je suis identifiée sur le site).

En voulant aller « vite et bien », Sephora n’a pas intégré les données CRM et transactionnelles (liées aux commandes, aux ventes) dans sa marmite marketing (le datalake). Ou a délibérément choisi de ne pas en tenir compte. Ou ne s’est pas posé la question ?

Parce que je le vaux bien / Photo by Nika Akin

Car avec les données e-commerce du site, il me semblait relativement facile de soustraire à la sélection de produits poussés dans l’email ceux que j’avais achetés 24h avant. Aujourd’hui, avec l’existence des CRM, CDP et autres plateformes data, je ne comprends pas qu’on puisse dépenser de l’énergie (sans compter les terra octets de stockage sur des serveurs) à retargeter dans le vide.

Mise en conformité RGPD, gouvernance de la data et expérience utilisateur

L’un des bénéfices de la mise en conformité RGPD (qui est censé être bien avancé à date, rappelons-le. Sinon appelez-moi) est d’aboutir à une meilleure gouvernance de la data. Avoir assis à la même table les services IT, marketing, SAV, commercial, juridique, (cocher les cases selon la taille de l’organisation) devrait avoir permis de fluidifier la circulation des données et in fine d’améliorer l’expérience utilisateur. Car le data marketing ne permet pas seulement la personnalisation des messages ou du simple marketing relationnel (ce qui se fait à date) mais surtout d’exploiter les données disponibles (et pas uniquement data clients) au mieux afin d’optimiser l’expérience utilisateur au maximum. Customer Knowledge and beyond.

NB : la même aventure de retar(d)geting est arrivée à Régis Bacher, qui la raconte sur le blog des 24 jours de l’email

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